« Maintenant, je suis une coureuse. »
Lorsque je me suis entendue prononcer cette phrase après le semi-marathon de novembre — je raconterai cette expérience dans un prochain post –, il m’est apparu que mon identité avait changé, sans que je m’en rende compte.
En coaching, la notion d’identité occupe une place centrale car elle fait partie des choses qu’il est essentiel de remettre en question quand on travaille sur soi. Par identité, j’entends toutes les pensées que nous avons sur nous-même et qui nous définissent. Les traits de caractère, la personnalité, le tempérament, les qualités et les défauts que nous nous attribuons à nous-même façonnent la manière dont nous agissons et interagissons avec les autres, ce que nous entreprenons, nos goûts, nos envies, dans chaque domaine de notre vie. Or, bien souvent, ces pensées ont été acquises par défaut, sans que nous les ayons choisies, et proviennent de ce que d’autres nous ont dit, de ce que nous avons remarqué à une certaine période de notre vie, des expériences que nous avons vécues ou de jugements négatifs ou positifs que nous avons portés sur nos propres actions ou réactions.
Au fur et à mesure des entraînements, sans que j’en prenne conscience, mon identité par rapport à la course avait changé. J’étais devenue une coureuse, comme si le fait d’avoir atteint mon objectif, comme si toutes les étapes du processus qui m’avait menée là, avaient modifié qui j’étais.
Malgré le fait que je courais tous les dimanches depuis plusieurs années, je ne m’étais jamais considérée comme une coureuse. Je courais en dilettante, seule et sans vraiment savoir ce que je faisais. Mes motivations étaient simples : rester en forme physiquement et me faire du bien mentalement (me délester du stress de la semaine et passer un moment d’introspection, entièrement seule).
À la fin du mois de septembre, j’ai su qu’après le semi-marathon de novembre, je commencerais à m’entraîner pour le marathon de Paris d’avril 2023. J’avais donc deux objectifs ambitieux, à une échéance plutôt courte.
L’objectif du semi-marathon, alors que je n’avais jamais fait de vraie course de ma vie, aurait pu me rebuter. Mais je pense que cela n’a pas été le cas parce qu’à aucun moment je n’ai rattaché ma valeur d’être humain à mes performances de course. Je dis cela parce que souvent, quand nous nous fixons des objectifs, la peur de ne pas y arriver nous bloque complètement. Ce dont nous avons peur en réalité c’est du mauvais moment que nous passerons si, au moment où nos performances ne sont pas à la hauteur de nos attentes, nous nous disons que nous sommes nul•le•s ou que nous n’y arriverons pas. Je connais bien ce processus. La peur vient du sale quart d’heure que nous nous ferons passer à nous-même si nous échouons.
Or, bizarrement, dans le cas de la course. Je n’avais pas peur de ça. Je n’avais pas peur de me juger ou de me déprécier. Tout ce que je faisais était un « bonus » par rapport à mon état initial.
Bien sûr qu’il m’est arrivé de « rater » ma séance. Certaines séances de fractionné m’ont vraiment mise en difficulté et il m’est souvent arrivé de ne pas réussir à respecter la vitesse fixée par mon coach pendant le temps imposé. J’étais déçue, certes, mais je ne me suis jamais dit que pour autant, j’étais incapable d’y arriver ou que je n’étais pas assez sportive. Et ne pas me le dire ne constituait pas un effort conscient de ma part. C’était comme ça. Au contraire, chaque difficulté m’enthousiasmait et j’avais hâte de voir si j’y arriverais la fois d’après. Que quelqu’un à qui je donnais de la crédibilité dans ce domaine me dise que je pouvais y arriver était suffisant pour moi. Que mon ami réfléchisse pour moi aux séances à effectuer semblait assez puissant pour me décharger de ça. Et j’avais l’impression que je n’avais donc pas à réfléchir.
Or, tout le travail venait de moi, et de moi seule.
Je ne suis pourtant pas comme ça dans tous les domaines. Je peux me décourager très facilement si j’ai peur du jugement des autres, et donc, de mon propre jugement. Je peux avoir très peur de me planter, de me décevoir, de me blâmer. J’ai appris à reconnaître cela chez moi et j’arrive plus facilement maintenant à le maîtriser.
Mais là, ma valeur n’était pas en question.
Et je pense que c’est précisément ça qui m’a permis de croire que je pouvais courir le semi, et ce qui me permet de croire aujourd’hui que je peux courir un marathon. Je n’ai pas peur des répercussions de mes émotions. Je n’ai pas peur de m’en mettre plein la tête si je ne fais pas le temps que j’aurais voulu. Je n’ai pas peur de moi-même.
Je suis donc ouverte aux expériences et au dépassement de moi. Je suis ouverte aux nouvelles informations (sur mes pieds, sur ma fréquence cardiaque, sur mon corps, sur mon mental) que je vais découvrir sur moi.
Et c’est comme ça que séance après séance, semaine après semaine, obstacle après obstacle, mon identité s’est modifiée. Je suis passée de quelqu’un qui court le dimanche, à quelqu’un qui court deux fois par semaine, puis à quelqu’un qui s’entraîne pour un semi-marathon, trois fois par semaine, puis à quelqu’un qui a couru un semi-marathon, puis à quelqu’un qui prépare un marathon.
Je suis devenue une coureuse.
Parce qu’un jour quelqu’un m’a dit que je pouvais le faire et que je l’ai cru. Et que j’ai éprouvé l’envie et la curiosité de voir si j’en étais capable. Parce que je n’ai pas eu peur, ou plutôt parce que cette peur ne m’a pas arrêtée. Parce que je me suis amusée et parce que je me suis rencontrée, un peu plus, sans me juger.